
La catastrophe enveloppe le regard mondial de son grand dédale et l’homme succombe à la fascination pour cette immensité naturelle, par la puissance imaginaire qu’elle suscite dans l’inconscient collectif. Il est évident que la dramatisation utile des médias éveille l’intérêt général de la communauté internationale, prenant pleine conscience de sa responsabilité envers les populations affectées et démunies.
Haïti soulève l’argument d’un catastrophisme éclairé et ambiant, prolongeant dans sa course l’idée d’un homme qui oublie sa rivalité avec l’autre, pour engager un dialogue et rencontrer des solutions urgentes. C’est le travail humanitaire, dans la définition la plus propre de la solidarité. Il est alors pertinent de rapprocher la manifestation naturelle de la catastrophe, qui n’est pas directement l’objet d’une force exercée par l’homme, et sa propension toute spontanée à provoquer une abstraction de l’avenir, par l’isolement de l’origine du séisme, par son omnipotence également et plus loin, dans son incompréhension des phénomènes, de la nature entière.
En effet, la médiatisation extrême du supplice Haïtien isole considérablement les autres, à juste titre, puisqu’elle dépasse tout entendement, mais elle dispose sérieusement une image à fasciner le public. Les réseaux d’informations starisent les confidences d’une terre qui tremble pour percer le secret de la douleur.
Il y a une courageuse volonté d’informer, de l’instantanéité des choses, de leur monstruosité à travers leur « non-permanence ». Le pouvoir de l’image garantit la sûreté des hommes, pour trouver une correspondance visuelle à ce qu’ils imaginent. Cependant, elle devient illégitime quand le spectacle profane des cadavres étendus, quand les écrans sont vécus comme des fosses creuses.
N’y a t il pas une limite à l’intimité de la douleur, n’y a t il plus aucune affliction dont un regard se prive ? L’image est une enclave, une aventure réelle logée dans un écran, c’est un pays dans un autre pays et qui modifie les peuples abolissant les frontières. Il n’est plus nécessaire de cartographier le territoire pour sonder la réalité du mal et l’irrévérence de la terre. Un cri de l’Ouest est entendu à l’Est et les pierres folles dansent dans les salons.
L’ubiquité de la catastrophe n’est pas une conséquence propre de sa nature, mais tire ses caractéristiques de l’autonomie et de la vie que lui confère le spectateur, dans l’assouvissement de cette pulsion pour le fantastique, qui prend sensiblement dans l’esprit de chacun, une forme, une allure, un corps qui ne pouvait lui être représenté.
Rien ne le dispose à comprendre, seulement à régénérer sa peur, jusqu’à la rendre inexplicable, et donc invincible. Haïti est une brèche dans une plaie déjà ouverte, comme une blessure dans le cœur d’un pays agonisant.
Une raison bien modeste vient suspendre la décision de penser les origines du séisme : sa nature n’intéresse qu’une minorité de spécialistes qui ne savent percer l’autorité de la nature et les arguments qu’elle dresse contre la compréhension des hommes. La catastrophe dans l’étendue de son autorité transpose son impondérabilité dans la forme d’un paradoxe majeur qui se traduit auprès du public par une désolation merveilleuse.
Le rêve infini gît sous les décombres et le corps de béton, comme le désenchantement du monde confronté à des catastrophes répétitives, affaiblissant considérablement la confiance accordée aux sciences et aux techniques. C’est le principe du spectacle des princes, de penser le fait que les spectateurs s’étourdissent de l’horreur, opprimant les regards craintifs et curieux. Alors que le peuple haïtien est tristement frappé par le majestueux cataclysme, nous l’imaginons finalement humilié par la nature.